Publié le 8 octobre 2023
Alors que le nombre d’étudiants coréens est en déclin régulier, en parallèle avec celui de la démographie coréenne, la Corée se positionnerait en tête des pays d’Asie du Nord-Est en nombre d’apprenants de français rapportés à la population totale.
Si l’anglais, enseigné dès l’école primaire, fait partie des matières dont le poids est prépondérant pour poursuivre des études dans une bonne université, apprendre une deuxième langue vivante reste facultatif, y compris pour le concours d’entrée à l’université.
Cette position du français en tant que seconde langue vivante facultative, en compétition avec le japonais, le chinois, l’allemand, l’espagnol, le russe ou l’arabe, incite les enseignants de cette matière à se remettre en question, repenser leur offre de français, améliorer leurs compétences de gestion de classe ou d’établissement, être capable de s’adapter rapidement aux changements, varier le contenu des cursus et des cours proposés, pouvoir orienter les élèves dans leur choix de carrière et d’avenir.
En quoi le français professionnel peut répondre en partie à ces nouveaux défis ? C’est ce que nous allons découvrir à travers le témoignage de Jérémie Eyssette, Maitre de conférences et enseignant de FLE/FOS à l’Université de Chosun, dans la ville de Gwangju, au sud de la Corée du Sud.
Portrait de Jérémie Eyssette A l’Université de Chosun, les étudiants de Jérémie ont fait le choix du français. Pour eux, il est un enseignant qui a su se diversifier, élargir leurs horizons et décloisonner leur classe en tissant des liens avec le monde des affaires et l’espace économique francophone de la zone indo-pacifique. Jérémie débute sa carrière en Chine où il travaille en tant que traducteur dans des agences d’immigration, puis enseigne à l’université de Shenyang. En 2011, il déménage en Corée du sud et intègre l’université de Chosun à Gwangju, dans le sud-ouest de la Corée du Sud. Là, il suit en parallèle un doctorat en Relations internationales – Histoire culturelle et passe des habilitations FLE à l’Alliance française de Gwangju. Il y donnera ensuite des cours de culture française et francophonie. Aujourd’hui, Jérémie enseigne toujours à Chosun, au sein du département Global Business Communication (GBC). Après avoir assimilé et mis en pratique les principes de la didactique du français professionnel, à l’aide des programmes et des fiches pédagogiques conçus sur mesure pendant les formations animées par Le français des affaires de la CCI Paris Ile-de-France, en 2022, à la demande du Service de Coopération et d’Action Culturelle de l’Ambassade de France à Séoul, il crée et anime de nouveaux cours et participe au développement de l’offre de son département. |
Cela s’est fait progressivement, à la suite de plusieurs déclencheurs qui ont poussé notre département à offrir une vision plus pragmatique de la langue française et son enseignement. Avec le soutien de ma hiérarchie, nous avons donc entamé un processus d’évolution de notre département car étudier uniquement la langue et la littérature n’offre plus suffisamment de débouchés.
En Corée du Sud, tout le monde est évalué, enseignants et départements*. Ce système permet au département de gagner des crédits, notamment en fonction du taux d’employabilité des étudiants et obtenir ainsi plus de moyens financiers pour monter de nouveaux projets. Afin d’améliorer nos résultats et offrir plus d’opportunités de carrières à nos étudiants, nous avons décidé de diversifier notre offre en misant sur un enseignement du français plus professionnel et orienté insertion, tout en gardant un tronc commun francophone… c’était l’idée.
Ma cheffe de département a commencé à mettre en place un partenariat avec la Kotra1, Centre coréen du commerce extérieur. Cette expérience a permis aux étudiants les plus motivés de partir vivre une expérience linguistique et professionnelle en pays francophones, notamment en Afrique du Nord. Mais 80% des étudiants de ce département sont des femmes donc il n’était pas toujours évident de les convaincre de partir en Afrique du Nord par rapport aux différences culturelles.
Le département a alors entamé sa mutation en passant de département de langue et littérature françaises à département d’études francophones. Il a ensuite rapidement été rebaptisé département de « global business communication », tout en gardant un tronc commun de cours de langues étrangères, combiné à une offre de cours en marketing, statistiques et comptabilité. En dix ans, le département a pris une véritable orientation « affaires/business » ce qui m’a naturellement permis d’orienter mes cours vers un français plus spécifique, plus professionnel.
En tant qu’enseignant, je suis donc passé de cours de type « traduction » a des cours de français plus spécifique, qui abordent, par exemple, le traitement de sujets économiques par les médias, puis des cours de français des affaires plus « classiques », avec une méthode et des préparations personnalisées.
J’enseignais déjà le français professionnel mais sans avoir été réellement formé pour. Il y a trois ans, le SCAC de l’ambassade de France en Corée est venu consulter les professeurs de français dans les universités et ensemble, nous avons essayé d’avoir une réflexion commune sur comment rendre notre apprentissage et notre filière francophone plus attrayante.
Au départ, le département voulait offrir des stages à la CCI de Séoul mais nous avons rencontré quelques difficultés au moment de faire valider cela par les autorités universitaires coréennes. Le SCAC a donc proposé de financer des formations en FOS, animées par la CCI Paris IDF. 2 formations ont, jusqu’à présent, eu lieu, en distanciel. Les contenus ont été orientés vers les secteurs du luxe, du tourisme et de la gastronomie, secteurs qui suscitent le plus d’intérêt chez les étudiants coréens.
Les réformes des programmes de notre département ont été accélérées grâce à ces expériences de partenariats externes et ces deux formations. Et cela continue puisqu’en plus des stages que notre département propose à Singapour, des étudiants partent aujourd’hui à Nouméa, grâce à un nouveau partenariat pour des préparations à l’emploi et des stages linguistiques offerts par l’Ambassade de France en Corée.
Cet élargissement à une francophonie centrée sur la zone indo-pacifique, plus « accessible » pour des étudiants coréens, leur a fait prendre conscience de l’utilité de leur apprentissage du français professionnel au-delà des frontières géographiques et linguistiques habituelles.
Grâce à une sélection basée sur l’évaluation d’une production écrite ou la réalisation d’une petite vidéo, les étudiants passent un quizz, présentent leur vie en Corée et leurs motivations au départ en français et expliquent pourquoi ils souhaitent vivre cette expérience en Nouvelle Calédonie. Sur place, ils ont des cours de français le matin et des visites l’après-midi. Ce programme proposé par L’Ambassade de France en Corée est ouvert aux étudiants inscrits à un cours de français en Alliance ou à l’université.
*(L’évaluation de la performance des universités pour le classement général se fait sur 300 points répartis selon quatre critères : recherche et nombre de publications (100 points), environnement éducatif (100 points), taux d’emploi à l’issue de la formation et création de start-ups (70 points), ainsi que la notoriété (30 points).)
« Tout le monde parle anglais, donc c’est ouvrir un autre horizon. »
La France reste une destination de choix pour les étudiants coréens qui s’intéressent majoritairement à l’art, design/mode/musique (31,48%) mais aussi à la gestion, l’économie et le management (16,72%).
Alors que la majorité des universités coréennes se focalise sur l’enseignement de la littérature et de la culture française. Cependant, seulement 5,81% des étudiants vont en France pour étudier les Lettres. L’architecture, l’ingénierie et le droit ne sont pas beaucoup plus populaires avec environs 5% d’étudiants concernés en 2020. Enfin, les sciences fondamentales et le domaine de la santé ne touchent qu’1 à 2% des étudiants en mobilité.
Notre département, en offrant un cours de français sur objectifs spécifiques, répond à la volonté des étudiants qui ne souhaitent pas forcément voyager à l’étranger pour poursuivre des études littéraires, ni travailler hors de Corée, d’aborder tout de suite un français en prise avec la réalité économique et sociale d’aujourd’hui.
Ils sont attirés par la France mais n’ont pas encore d’idée précise quant à leur futur métier. De moins en moins ont la vocation de devenir traducteur ou professeur de français donc l’orientation professionnelle des cours est appréciée.
Ils apprécient le fait de pouvoir aborder ce français plus spécifique sans avoir un niveau élevé en FLE au départ. L’approche inductive, interactive, les mises en situation, comme celle proposées par les fiches Numérifos, sont très appréciées. Je leur laisse en général le choix des domaines qui les attirent (mode, design, tourisme et hôtellerie sont surtout retenus) ce qui augmente leur motivation et leur assiduité.
J’essaie de faire des passerelles avec d’autres thématiques transversales aux domaines retenus, comme l’écologie, le développement durable, la gastronomie, le patrimoine, la santé (beaucoup de citoyens de pays voisins viennent en Corée pour des opérations de chirurgie esthétique par exemple). J’essaie régulièrement de proposer de nouvelles activités autour de sujets d’actualité tels que les réseaux sociaux, les métiers d’influenceurs, la cosmétique, des sujets qui plus tard, pourront leur être utiles dans leur projet professionnel.
Je remarque d’ailleurs que depuis la création de nos cours FOS, le nombre d’étudiants inscrits venant d’autres filières est en nette augmentation (droit, commerce international, ingénierie, etc.) . C’est ça aussi le but : ouvrir nos étudiants à d’autres horizons mais également attirer des étudiants d’autres disciplines vers le français.
La natalité en Corée du Sud est en baisse, le nombre d’étudiants chute chaque année. Pour répondre à cela, les universités décident de réduire le nombre d’étudiants des facultés des Sciences humaines, de regrouper les départements voire de les supprimer. Les étudiants formés dans ces facultés ont plus de difficultés que les autres à trouver du travail et leurs compétences sont jugées, selon les administrations universitaires, moins utiles à la société.
Après l’impact de la crise Covid et cette situation démographique défavorable, on doit être à l’écoute de nos étudiants et adapter nos enseignements pour évoluer avec les nouvelles générations. Mais le poids des traditions mène parfois la vie dure aux volontés de progrès et de transformation.
Il y a toujours cette certitude ancrée que le français reste une discipline que l’on choisit uniquement pour apprendre la langue et la littérature et les enseigner ensuite, d’où l’objectif de garder une minorité d’étudiants intéressés à passer un master ou un doctorat qui vont ensuite pouvoir maintenir ouvert le département. Mais le modèle n’est plus viable. Les universités doivent nouer plus de partenariats avec d’autres universités ou d’autres structures externes et augmenter ainsi la mobilité des étudiants, les motiver surtout grâce à des mobilités, des échanges ou des stages. Et surtout leur prouver qu’apprendre le français peut ouvrir sur d’autres débouchés que son enseignement.
J’ai eu la chance d’avoir le soutien de ma hiérarchie qui a tout de suite adhéré au changement mais je sais que ce n’est pas toujours le cas ailleurs. Progressivement, le lien doit être fait entre le monde des affaires et l’université pour renforcer cet engouement pour un français plus professionnel, et continuer les réformes au sein des départements de français.
Les entreprises françaises/francophones présentes en Corée ou des entreprises coréennes qui travaillent avec la France ou d’autres pays francophones doivent ouvrir leurs portes et proposer des stages à ces étudiants, notamment à Séoul.
J’espère également amener les Diplômes de français professionnel dans le cursus de mes étudiants car les Coréens sont compétitifs et aiment bien passer des diplômes, à condition qu’ils soient utiles et reconnus par les entreprises auprès desquelles ils pourront les présenter pour un stage ou un emploi.